Publié part Mediapart le 08-04-2015 : "Rapport Final" de l'ADEME à télécharger ici (25 Mo)
Dernière
mise à jour : 28-01-2013 |
POUR UN DÉBAT CITOYEN sur LA QUESTION ÉNERGÉTIQUE |
Le document ci-dessous -en cours de rédaction- a pour but de formuler quelques unes des questions cruciales relatives à la place dominante du nucléaire dans notre production d'électricité, de proposer quelques références et quelques pistes de réflexion sur ces questions.
Ce texte n'est qune ébauche : merci à tous ceux qui ont bien voulu y contribuer par des remarques, compléments et références. Cette contribution collective devra se poursuivre...
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-A- | LA QUESTION ÉNERGÉTIQUE, DOMINÉE PAR LA QUESTION NUCLÉAIRE |
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A -1- | Bien
évidemment, la
question énergétique que nous abordons ici implique des
modes de développement industriel, des modes de vie, des choix
de société, des choix technologiques... elle est éminemment
politique.
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A -2- | La
revue "Les CAHIERS de l'HISTOIRE" a publié sur
le sujet un excellent article (que je citerai plusieurs fois ci-dessous)
de Sezin Topçu, sous le titre "Le programme nucléaire français lancé dès 1954 est déjà bien engagé à la fin des années 60 avec neuf réacteurs nucléaires construits, quatre réacteurs en construction, une usine de retraitement tout juste mise en service ainsi qu’une quarantaine de têtes nucléaires. En 1973, à la veille de l’accélération du programme nucléaire français, l’énergie nucléaire fournit, avec onze réacteurs couplés au réseau, 8 % de l’électricité produite. Le développement de l’énergie nucléaire ne suscite cependant pas, dans l’espace public, de réactions massives pendant les décennies 50 et 60. Largement promue par le discours « l’atome pour la paix », le nucléaire est alors plutôt considéré comme une affaire de scientifiques et d’ingénieurs œuvrant pour la modernisation et la grandeur de la nation. En 1958, à la veille de l’explosion de la première bombe atomique française dans le Sahara (13 février 1960), 28 % de la population seulement s’oppose à l’armement nucléaire de la France alors que près de la moitié des Français pense que l’effort français d’équipement atomique est insuffisante ." |
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A -3- | Il
faut aussi rappeler les réflexions menées par le "Club
de Rome" qui se constitue, dans les années 1970,
en réunissant des scientifiques, des économistes, des fonctionnaires
nationaux et internationaux, ainsi que des industriels de 53 pays, préoccupés
des problèmes complexes auxquels doivent faire face toutes les
sociétés, tant industrialisées qu'en développement.
Bien
que le concept de "croissance zéro", n'y soit pas explicitement
préconisé, ce rapport développe des idées
qui seront fondatrices de l'écologie politique : par exemple, les
notions de développement durable et d'empreinte écologique
font du Club de Rome un précurseur. Alors,
le
milieu scientifique (plus spécialement le milieu physicien) peut
se sentir investi d'une mission : ne doit-il pas oeuvrer
et se réjouir du fait que ses découvertes permettent de
garantir "l’indépendance et la grandeur du pays"
? |
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A -4- | Le débat se condense alors sur la question énergétique avec la promotion "à marche forcée" de l'énergie nucléaire - qui avait des partisans aussi bien à droite, chez les Gaullistes (avec l'argument d'indépendance nationale), qu'à gauche (y voyant l'opportunité de produire, à bon prix et quasiment sans limite, une énergie indispensable au progrès de l'humanité). Si au départ, le milieu physicien reste à l’écart du mouvement antinucléaire naissant, la situation change dans l'après-Mai 68 qui voit l'irruption de la grille d'analyse politique dans tous les champs intellectuels et tous les secteurs de la vie sociale : la psychanalyse et l'enfermement de la "folie", la prison et la question posée par "surveiller et punir", le féminisme et l'organisation patriarcale de la société, l'éducation avec la question de la "mise en condition" par l'école, la science et son asservissement à la politique... A
l’origine de la montée de la critique écologiste et
antinucléaire on trouve alors, en majorité, des "intellectuels"
en marge du monde ouvrier : journalistes, avocats, enseignants, ainsi
que mathématiciens et quelques biologistes. |
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A -5- | Le
contexte politique de l'époque, avec l’augmentation
brutale des prix du pétrole, conforte le gouvernement Messmer dans
son lancement, en mars 1974, d'un programme massif de « tout
électrique tout nucléaire », connu aussi
sous le nom de « Plan Messmer ». Ce plan est mis en place par EDF et le CEA en l’absence de tout débat public, voire de débat parlementaire : - il prévoit la construction d’environ 80 centrales jusqu’en 1985 et d’un total de 170 centrales jusqu’en 2000. - le nucléaire devra assurer, en 1985, 70 % de la consommation d’électricité. - dans la lignée du recours au «tout nucléaire» en remplacement du "tout pétrole", EDF -maître d’œuvre du programme- prévoit et incite l’équipement d’environ 3 millions d’habitats en chauffage électrique jusqu’en 1985 (ce qui, sur le plan des rendements, est d'une totale absurdité, on y reviendra). A la demande du CEA, un groupe de physiciens spécialistes du domaine prépare un rapport devant servir de base à la préparation des options du VIIe Plan en matière de recherche scientifique : ce rapport de 300 pages fait notamment l’éloge de la rentabilité du nucléaire dont le kilowattheure produit serait, selon lui, deux à trois fois moins cher que celui produit par une énergie d’origine fossile. Quant aux risques liés au nucléaire, ce rapport minimise de nombreux problèmes comme par exemple celui de la sûreté qu’il suppose maîtrisée en faisant référence aux rapports de l’AIEA (Agence Internationale pour l’Énergie Atomique). |
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A -6- | Dans
le même temps, un autre groupe de travail (mis en place par la commission
correspondante du CNRS) prépare un rapport intitulé «Rapport
préliminaire sur des thèmes de recherche à propos
de l’énergie nucléaire». Cet autre
rapport désigne les problèmes nécessitant
des «recherches au point de vue fondamental relevant en
particulier de la compétence du CNRS», notamment le problème
des déchets. Cet
appel des scientifiques, signé par plus de 400 chercheurs en une
semaine, parvient à recueillir 4000 signatures en trois mois." |
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A -7- | En
réaction, EDF délègue des ingénieurs
pour "informer" le grand public et multiplie les réunions
publiques. Parmi
les critiques avancées dans l’Appel des 400, c’est
celle visant le problème de la «propagande officielle»,
du «secret» et du «mensonge»
qui oriente principalement l’action d'un groupement qui s'est constitué,
le GSIEN (Groupement des Scientifiques pour l’Information sur l’Énergie
Nucléaire), avec comme objectif : "Informer pour empêcher". "Même
la grande mobilisation contre Superphénix (600 000 signatures)
ne trouve d’autres interlocuteurs que les forces de l’ordre.
" |
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A
-8- |
Pour résumer cette histoire, en très raccourci, on peut pointer : -
les obstacles à la prise de conscience et à l'engagement
de la part des scientifiques concernés et compétents dans
le domaine, une partie d'entre eux fonctionnant sur l' illusion de "la
neutralité" de la science, comme si le problème politique
ne se posait qu'au niveau de l'application des résultats de recherche
(problème à trancher par les citoyens) et ne se posait pas
au niveau des orientations même de la recherche. Ironie
de l'histoire, on notera que le développement des centrales nucléaires
en France s'est réalisé dans une double conjoncture
: Difficile
d'imaginer qu'une industrie et une recherche privées auraient pu
prendre de tels engagements sur le long terme !!! |
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A -9- | Mais l'histoire continue... Un élément nouveau va se produire le 11 mars 2011 : la catasptrophe de Fukushima. Cette catastrophe joue un rôle crucial : elle frappe les esprits car elle constitue la preuve hélas éclatante que tous les discours triomphants (voire simplement rassurants) concernant la sureté des centrales nucléaires étaient tout simplement des mensonges. Et elle renvoie à tous les mensonges antérieurs (comme le nuage radioactif de Tchernobyl censé s'être arrêté aux frontères de la France) et à tous les évênements accidentels réputés mineurs qui ont ponctué l'exploitation des cenrales nucléaires. Mais surtout, cette catastrophe survient dans un pays, le Japon, réputé pour sa haute technologie et pour le sérieux de ses productions industrielles : le Japon n'est pas un "pays de l'Est" ! De ce point de vue, les Français peuvent s'identifer aux Japonais. A tel point qu'un début de "glissement" de position va s'opérer, y compris au niveau politique. Voir par exemple l'article "Fukushima et le retour du nucléaire en politique" (posted on 18 janvier 2012 by Francisc). Très majoritairement, la droite reste fermement attachée à la défense du nucléaire alors qu'à gauche, les lignes commencent à bouger : Europe Écologogie les Verts obtient, bien que "du bout des lèvres", un accord de la part des Socialistes pour réduire à terme (malgré un certain flou) la part du nucléaire dans la production d'énergie électrique. Le Front de Gauche se prononce pour une planification écologique qui donne la priorité aux énergie renouvelables. Même si la question du nucléaire ne semble pas complètement tranchée au FdG, le Parti de Gauche quant à lui s'exprime clairement pour un abandon progressif du nucléaire et pour un vaste programme d'économies d'énergie et de développement des énergies renouvelables |
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A -10- | Les conditions semblent dès lors réunies pour que s'instaure un débat citoyen sur le sujet... Les défenseurs du nucléaire n'attendent pas. La campagne électorale de la Présidentielle voit fleurir quelques affirmations aussi péremptoires que mensongères... Le journal Mediapart en rend compte dans un montage video intitulé "Les mensonges atomiques du gouvernement" constitué de déclarations authentiques (et édifiantes) de N.Sarkozy et de ses supporteurs. Au delà de ces gesticulations de campagne électorale, il est aussi intéressant de revenir sur la façon dont il a été rendu compte de cette catastrophe. Entre parenthèses, la contestation du dogme du tout nucléaire a au moins eu un double mérite :
Et de fait, ces ONG ont contribué à poser "les bonnes questions" et à révéler les défaillances des premiers... Un seul exemple : l'IRSN publiait très régulièrement l'état des analyses de radioactivité dans les parages de la catastrophe (tout en cherchant à minimiser le degré de gravité). Cependant, alors que des tonnes d'eau étaient déversées sur la cuve pour la refroidir, que cette eau était récupérée dans des bassins... avant d'être évacuée dans la mer... curieusement, il n'a jamais été question de pollution marine ! Et il a fallu attendre environ une année pour que cette question surgisse avec la contamination avérée des poissons pêchés en mer dans une zone assez éloignée de la catastrophe... Plus près de Fukushima, une radioactivité record (plus de 2 500 fois supérieur à la limite légale fixée par le Japon), a été détectée sur un poisson (vendredi 18 janvier 2013). C'est sans doute la faute aux poissons qui n'ont pas su voir le danger : Mais
les
défenseurs du nucléaire se trouvent aussi chez certains
"écologistes" (comme le MNLE ou Sauvons le climat)
qui défendent l'option nucléaire au titre d'une production
d'électricité avec "zéro CO2". On reviendra
sur cette assertion. Dans son édito du n° 108, "Transition
énergétique : comment ?", on lit notamment : "Il
serait «politiquement correct» d’être antinucléaire
quand on milite pour un nouveau développement. Ce n’est pas
notre cas. Le MNLE a toujours raison gardé.". On voit concrêtement le genre d' "argument" pro-nucléaire auquel il est nécessaire de répondre ! - à en croire ce montage video (qui voudrait faire la preuve par Hiroshima), il ne faudrait donc pas accorder de crédit aux scientifiques quand ils parlent de la période de "demi-vie" des éléments radio-actifs (pour certains éléments, il faut effectivement attendre plusieurs centaines d'années pour que leur activité soit réduite de moitié)... De la part de l'auteur de cette assertion, il s'agit soit d'une escroquerie, soit d'une confusion mentale... car on ne doit pas confondre un accident de centrale nucléaire et une bombe atomique. Tchernobyl et Fukushima resteront impraticables pendant de nombreuse décénies alors que dans le cas d'une bombe qui explose dans l'atmosphère (ce qui était le cas), l'explosion produit un colossal rayonnement thermique qui permet à la majorité des particules radioactives d'être "soufflées" vers le haut dans l'atmosphère. Et donc la pollution se répartit en se dilluant. - l'affirmation que "la politique crée des dégats" est encore une malhonnêteté intellectuelle : car ce n'est pas "la politique", ce n'est pas n'importe qu'elle politique qui détruit l'économie, qui détruit l'emploi, qui détruit des femmes et des hommes... et l'utilisation de la bombe H est également un choix politique. Nous
devons effectivement affronter ce genre de débat pour ne
pas laisser triompher des idées fausses et dangereuses...
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